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Kaze to ki no uta (SANCTUS) – Retour sur l’OAV avant la sortie du manga en français

Le poème du vent et des arbres, ou kaze to ki no uta dans sa version originale, arrive très bientôt dans nos contrées grâce aux éditions Naban, près de cinquante ans après sa création. C’est un évènement, car ce titre de la célèbre mangaka Keiko Takemiya est un monument du genre, qui a eu une influence importante dans ce milieu de la bande dessinée japonaise. De plus, pour une histoire se situant en France, c’était un comble de ne pas pouvoir la lire dans la langue de Molière.

Pour accompagner l’actualité liée à sa sortie, je souhaite revenir sur son adaptation en OAV datant de 1987. Une production qui fut pour beaucoup d’entre nous une porte d’entrée dans l’univers de la mangaka.

Attention, cet OAV divulgâche certains éléments de l’intrigue. L’article n’a pas vocation à vous donner ces détails. Nous vous déconseillons de visionner l’OAV avant d’avoir suivi la publication complète chez Naban.

L’action se passe à Arles à la fin du XIXe siècle, au sein de l’académie Lacomblade. Le film débute du point de vue de Serge Battour, ancien pensionnaire de l’académie, parcourant avec nostalgie les allées de l’établissement. Ce dernier n’a qu’une idée en tête, faire un passage du côté de la chambre n°17 du bâtiment B, celle autrefois occupée par Gilbert Cocteau, celui qui était son premier grand amour. Accompagné par les notes de Bach et Chopin, cette introduction bouleverse tant la mélancolie est omniprésente alors que le récit n’a toujours pas débuté.

De retour quelques années en arrière, le jeune Serge Battour, 13 ans, fils d’un aristocrate et d’une bohème, vient d’entrer dans l’établissement. Il y rencontre son compagnon de chambre Gilbert, 13 ans également, un éphèbe à la beauté androgyne, au comportement auto-destructeur. Il use de son corps pour arriver à ses fins, et bon nombre de ses camarades de classe, voire même des professeurs, profitent de lui. Mais grâce à son innocence et sa bonté, Serge tentera de briser la carapace de Gilbert pour le sauver.

Le poème du vent et des arbres débute sa publication en février 1976 au sein du magazine Shōjo Comic et, après un transfert dans le Petit Flower en 1981, se termine en juin 1984. On compte au total 17 volumes reliés. Bien qu’il divise les lecteurs et lectrices de l’époque, c’est un succès critique et commercial : il remporte le 25e prix Shogakukan Manga en 1979 (en même temps que Destination Terra, également écrit par Keiko Takemiya). Plus encore, le titre marque au fer rouge le milieu du manga de par ses thématiques abordées.

Je ne vais pas décortiquer dans cet article pourquoi cette œuvre est majeure dans le milieu du manga. D’autres le feront bien mieux que moi lors de la sortie de la version papier aux éditions Naban. Considérez qu’il s’agit d’un, si ce n’est le premier manga grand public à aborder aussi frontalement une telle noirceur physique et morale, tout en abordant explicitement la question de l’amour au masculin. La profondeur psychologique de ses protagonistes inscrit l’œuvre dans la mouvance de ses contemporaines comme Moto Hagio ou Riyoko Ikeda. Parmi les mangas qui ont été influencés implicitement ou explicitement par ce titre, on peut facilement citer Berserk avec son antagoniste Griffith.

Il faut savoir que Le poème du vent et des arbres n’est pas la première œuvre adaptée d’un manga de Keiko Takemiya. Nous avons tout d’abord le film issu de son succès Destination Terra, sorti en 1980. Vient ensuite Natsu e no Tobira en 1981, dont l’animation est une co-production Toei Animation et Madhouse. Cette production mérite qu’on s’y attarde plus longuement, peut-être que je ferai un article à ce sujet un de ces jours. En 1982, c’est Andromeda Stories qui a les honneurs d’un long métrage. Si Takemiya est aux dessins du manga, l’histoire est imaginée par l’écrivain Ryu Mitsuse. Ce dernier a récemment fait parler de lui en France via Une infinité de jours et de nuits, une adaptation d’un de ses plus grands succès par Moto Hagio, disponible depuis début 2025 aux éditions Akata. Diffuser sur le petit écran une œuvre aussi violente que Le poème du vent et des arbres a été rendue possible avec l’explosion du format OAV au début des années 80, permettant de contourner toute censure.

Sorti en 1987, soit trois ans après la fin de la publication du manga, c’est le célèbre Yoshikazu Yasuhiko, alias Yas, qui chapeaute le projet au sein de son propre studio Kugatsusha. D’autres studios sont cités en production : Triangle Staff, Tranquilizer Product Company et Tokyo Media Connections. Yas est loin d’être un novice, on le connait surtout comme le chara-designer originel de Mobile Suit Gundam, mais il officie également comme mangaka, réalisateur d’anime, storyboarder et directeur de l’animation. Pour l’anecdote : ses mangas Arion et Venus Wars font également partie du catalogue des éditions Naban. Keiko Takemiya fut rassurée de le savoir assis à la chaise du réalisateur, elle a donc pu lui faire totalement confiance et le laisser adapter l’œuvre à sa guise. Lors de mes recherches, je n’ai malheureusement pas trouvé qui fut à l’initiative du projet.

Durant la production, nous pouvons imaginer que Yas devait être déjà très occupé sur l’écriture du manga Venus Wars. Il a recruté Sachiko Kamimura, une animatrice de talent, qui officie ici comme superviseur de l’animation. La réussite de leur collaboration fait que Yas lui a demandé ensuite de travailler avec lui sur la version cinématographique de Venus Wars au même poste. Le choix de Yamako Ishikawa à la direction artistique est une volonté commune de Takemiya et Yas. En effet, ils appréciaient son travail sur Natsu e no Tobira et l’ont embauchée tout en sachant pertinemment qu’elle travaillait lentement, posant des soucis de planning. La qualité de son travail est palpable à l’écran, on parle tout de même d’une personne ayant bossé sur Le château dans le ciel de Hayao Miyazaki. Autre talent notoire, Toshihiro Kawamoto assiste Sachiko Kamimura. C’est un des futurs co-créateurs du studio Bones, au CV long comme le bras. C’est intéressant de constater qu’il a fait ses armes ici.

Plus original, Takemiya elle-même mit la main à la pâte en dessinant des animations clés. Elle a apprécié cette expérience, se rendant compte de toute la liberté qu’offre l’animation pour faire ressurgir l’émotion. Des animateurs talentueux ont participé au projet, mais à défaut de vous donner des noms, je vous invite plutôt à consulter quelques extraits sur sakugabooru pour vous rendre compte de la qualité offerte.

À défaut de transcrire l’intégralité de l’histoire, le choix a été porté de sélectionner une partie des scènes les plus marquantes de l’œuvre pour façonner le récit. Une décision compréhensible pour rythmer les soixante minutes de l’anime, mais entrainant l’incompréhension du spectateur sur les motivations des protagonistes. C’est dommage, car les nouveaux venus ne peuvent saisir la profondeur du récit, tant vanté par les lecteurs du manga. C’est un peu le même souci que l’on rencontre avec l’adaptation d’Arion et Venus Wars par ce même réalisateur. Cet OAV est donc à considérer comme un hommage à l’œuvre de Takemiya, un bonus à dévorer une fois le dernier livre refermé.

Notons l’excellence de la direction artistique, tirant l’essence du manga pour la retranscrire dans un tout autre format. Le lyrisme de la plume de Takemiya fait place à une esthétique influencée par l’art baroque et le romantisme (de mon point de vue de profane) dans une France fantasmée. On y trouve beaucoup de couleurs chaudes, principalement un marron automnal, mais également une omniprésence de bleu froid comme la glace, quand apparaissent des séquences douloureuses. Les décors sont quant à eux de véritables peintures. Le tout est bercé par des compositions de Jean-Sébastien Bach et Frédéric Chopin apportant de la magie à cette imagerie onirique. J’apprécie particulièrement cette pause au milieu de l’OAV où Serge joue la Valse en mi mineur de Chopin en se remémorant des instants heureux avec son père.

Dans une interview, Keiko Takemiya évoque sa satisfaction du produit final, respectant l’esprit de son œuvre. Les choix artistiques minutieusement réfléchis, qu’ils soient le réalisme du mouvement, les dialogues ou le choix de comédiens pour les rôles phares comme Noriko Ohara alias Nobita de Doraemon pour Serge, ne peuvent pas plaire à tous ceux qui avaient une vision différente à la lecture de l’œuvre, et les créateurs en sont conscients. Cependant, on ne se rend pas toujours compte de la chance d’être face à une production concoctée avec amour par une équipe hyper talentueuse et supervisée par sa créatrice elle-même, ce qui n’est pas souvent le cas.

Pour parler plus personnellement, j’ai été marqué par cette œuvre lorsque je l’ai découverte, il y a de ça quinze à vingt ans. C’était mon premier véritable contact avec le shôjo vintage. Entre cette France fantasmée, l’omniprésence du piano et surtout du clavecin (vous ai-je déjà dit que j’adore cet instrument ?), un chara-design fin et expressif, et son sens du drame où les sentiments sont subjugués, son charme a su instantanément trouver résonance en moi. Cette histoire d’amitié et d’amour torturée entre Serge et Gilbert m’a touchée, bien que la frustration prit rapidement le pas, car les soixante minutes de l’OAV ne permettent pas son développement. Ceci dit, c’est grâce à cette production que je me suis ensuite intéressé à un autre classique de la même époque : Le Cœur de Thomas par Moto Hagio que l’on ne présente plus, qui fut une véritable claque à sa lecture.

Le poème du vent et des arbres respire tout ce que j’apprécie dans l’animation, quand alors tout était entièrement dessiné à la main. C’est un chef-d’œuvre méconnu de son époque. La sortie de l’histoire complète aux éditions Naban cette année 2025 va enfin pouvoir combler les attentes des milliers de spectateurs que nous sommes. J’ai écrit cet article pour encourager le plus de monde à s’y intéresser. Cette œuvre mérite un réel succès, nous comptons sur vous.

Pour aller plus loin :
Interview de Christophe Geldron (Naban) à Angoulême
Rencontre avec Masao Maruyama à Annecy par Le Journal du Japon
La page wikipedia de kaze to ki no uta
Interview de Keiko Takemiya à propos de l’OAV, le scan en question

Titre : 風と木の詩 SANCTUS -聖なるかな- / kaze to ki no uta SANCTUS sei naru kana
Directeur : Yoshikazu Yasuhiko
Studio : Kugatsusha, Triangle Staff, Tranquilizer Product Company, et Tokyo Media Connections
Genres : Romance, drame
Nombre d’épisode : 1 OAV de 60 minutes
Première diffusion : 6 novembre 1987

Synopsis

Arles, sud de la France, fin du XIXe siècle. Serge Battour est le fils d’un riche vicomte et d’une belle Tzigane. Malgré ses talents académiques ainsi que son caractère doux et aimable, il est méprisé par ses camarades en raison de sa couleur de peau. Alors qu’il étudie au prestigieux Institut Lacombrade, il est fasciné et attiré par son camarade, Gilbert Cocteau, un garçon d’une grande beauté, qui entretient des relations avec les autres élèves et n’est autre que le jouet de son oncle manipulateur, Auguste. Découvrez le destin de deux adolescents dont le quotidien sera jonché des vices et des péchés de la société classiciste, raciste et homophobe dans laquelle ils vivent.

Dareen

Président du Collectif Hanashi.

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