Après des années à tester des webtoons sans jamais me motiver à dépasser cinq chapitres, j’en ai enfin trouvé un qui a su m’accrocher sur plus d’une centaine de chapitres à l’heure où j’écris ces lignes. Cette bande dessinée, comme vous vous en doutez, c’est Suicide Boy de Parkgee. J’ai hésité à en parler sur ce blog, car ce titre est sujet à controverse. Il m’a cependant semblé utile de prendre un peu de hauteur sur ce qu’il englobe pour vous informer et voir sur ce que l’on peut en tirer.
Connaissant très mal le milieu du webtoon ainsi que la culture coréenne, je me suis instruit en consultant plusieurs analyses ainsi qu’en lisant un mémoire disponible en fin de page pour écrire l’article. S’il y a des erreurs ou des approximations, n’hésitez pas à me le faire savoir. L’œuvre, comme son nom l’indique, parle de sujets difficiles. N’hésitez pas à passer votre chemin si vous ne vous sentez pas prêts.
Le premier chapitre de Suicide Boy nous présente un étudiant nommé Lee Hoon (surnommé Hooni), sur qui tous les malheurs du monde tombent. Son quotidien est marqué par les brimades de ses camarades de classe et un manque cruel d’argent pour se divertir et se nourrir convenablement. Il fait peine à voir. Hooni vit seul, loin de son enfance rythmée par un père abusif et une mère décédée, et n’a aucun ami avec qui partager ses peines. C’est pour ces nombreuses raisons qu’il se décide à mettre fin à sa vie. Bien qu’il essaye sans cesse, il ne va jamais au bout de son idée.
Isolé du monde, Hooni va pourtant faire deux rencontres importantes dans sa vie. Tout d’abord en construisant des liens avec Jeong Soorim, le fils de la propriétaire du minuscule appartement qu’il loue, et ensuite en se faisant remarquer par Kim Jaehoon, un étudiant au profil de premier de la classe. Petit à petit, ces deux personnages briseront la carapace d’Hooni pour, espérons-le, supprimer ses idées noires et lui faire voir la vie du bon côté.
J’ai toujours eu des difficultés pour la lecture de bandes dessinées sur téléphone. L’écran trop petit ne me permet pas de profiter des subtilités graphiques de ce format. Même en suivant quotidiennement des mangas sur Manga Plus, c’est toujours depuis mon ordinateur que je les consulte. Le webtoon utilise un système de scrolling vertical obligeant à constamment utiliser son pouce, ce qui est fatigant. Sur les quelques titres que j’ai testés, comme Digimon Liberator ou Lecteur Omniscient, le graphisme sophistiqué fait perdre en lisibilité.
En ce qui concerne Suicide Boy, je trouve que son dessin plus simple et bourré de couleurs vives rend la lecture facile et donc plaisante. Parkgee nous offre tout de même de très belles planches quand viennent des scènes plus intenses afin que l’émotion soit parfaitement transmise. Cette clarté rend service à l’évolution psychologique subtile des protagonistes au fil des chapitres. J’ai toujours considéré qu’une bonne bande dessinée doit être avant tout lisible. En ce sens, Suicide Boy est une belle réussite.
La principale thématique traitée dans Suicide Boy est la dépression. À cause de son vécu, Hooni n’a aucune estime de soi, se renferme sur lui-même et broie des idées noires seul dans sa chambre. Ce garçon chétif, avec de grandes cernes, des pansements sur le visage et le bras pour cacher ses plaies, fait peine à voir. Quand Soorim cherchera à entrer en contact avec lui, il hésitera, car il a peur que l’on entre dans son intimité. Même en côtoyant plus régulièrement ses nouveaux camarades, il refusera de dévoiler ses sentiments les plus profonds par angoisse de les inquiéter et de les décevoir.
Heureusement, au fil des péripéties et des échanges avec les différents protagonistes du récit, Hooni commencera à percevoir une lueur d’espoir au fond de ce long tunnel de désespoir. De la même manière que le manga Orange1, c’est l’accumulation de ses expériences positives et le soutien de ses camarades qui feront basculer la balance quand le jeune garçon décidera réellement de mettre fin à ses jours. Intervenant à la fin de la première partie du récit, ce climax de l’œuvre est extrêmement émouvant et nous fait verser notre petite larme. On pourrait finir notre lecture à ce point de l’histoire tant l’œuvre n’a pas besoin de plus pour avoir du sens et une fin heureuse.
La deuxième partie du webtoon se concentre sur l’évolution de Hooni qui, tel un enfant innocent, va se confronter à de nouvelles expériences de vie, pour le meilleur et parfois pour le pire. Il faut bien passer par là pour se réinsérer dans la société. De nombreux chapitres se concentrent sur des personnages secondaires tels que Harim, la grande sœur de Soorim qui en pince pour Hooni, ou Sana, le voisin qui se sert de Hooni comme inspiration dans son travail de dessinateur. À l’heure où j’écris ces lignes, Suicide Boy est en pause, nous attendons la suite.
Le succès de l’œuvre ne provient pas tant de son traitement de la dépression que de la manière de l’aborder faussement avec humour et légèreté. Tout d’abord, Hooni est présenté comme un enfant candide, fragile physiquement et psychologiquement, se contentant d’une position de victime car il ne pense pas mériter mieux. Dès le premier chapitre, il tente de se pendre avec désinvolture, mais s’y résout au dernier moment se justifiant d’un entrainement. Le jeune garçon passe ensuite à autre chose, comme si son acte était anodin. Deuxième chapitre, il retente l’affaire avec un cutter, et comme attendu, n’ira pas au bout de son action. Avec de telles aventures aussi pathétiques, le lecteur ne peut que s’attacher fortement à lui. Ainsi, on peut le considérer comme un protagoniste moe2.
Une partie des lecteurs a grincé des dents à la lecture de ce récit sucré-salé. On lui reproche que la dépression est une maladie qui doit toujours être prise au sérieux. D’autres se demandent si Suicide Boy est problématique car il peut satisfaire des personnes sadiques appréciant voir Hooni se morfondre dans le désespoir. De mon point de vue, je trouve au contraire très intéressant lorsque des œuvres prennent à contrepied les lecteurs en abordant des thématiques d’une manière qu’on serait en charge d’attendre, ici teinté d’humour noir. À contrario, certains chapitres sont beaucoup plus pesants. Parkgee aborde avec une réelle sincérité tout ce qui se passe dans la tête d’adolescents mal dans leur peau. L’auteur ne cache pas son identification à Hooni, ayant lui-même vécu des situations similaires. Ce sentiment est partagé par un certain nombre de fans partout dans le monde.
Une autre controverse est liée à la fétichisation de certains de ses personnages, proches de l’univers des otokonoko3. Ces éléments ne sautent pas aux yeux au début de l’histoire, et pourtant le look de Hooni et Sana s’en rapproche avec leur short court et de longues chaussettes. Plus tard, même leur morphologie évolue pour se rapprocher de celles de femboys. Ce n’est pas étonnant, car Parkgee n’a jamais caché son affection pour ce style, et lui-même n’étant pas dans les normes de masculinité. Cependant, on peut regretter quelques chapitres et illustrations basés sur le charme d’Hooni. Si certains peuvent être justifiés pour leur humour, notamment celui alertant sur les dangers de l’internet, d’autres sont totalement gratuits pour satisfaire un public amateur du genre.
Personnellement, j’ai beaucoup été amusé et touché par les aventures d’Hooni, mais également par celles de Sana. En effet, ce dernier nous est présenté comme un personnage humoristique profitant de la situation malheureuse d’Hooni, mais au fil des chapitres on se rend compte qu’il possède de nombreux complexes l’empêchant d’être heureux. Sana ne tardera pas à tomber en dépression lui aussi. L’arc narratif résolvant son mal-être est très touchant, tout en faisant écho à celle d’Hooni.
En prenant de la hauteur sur cette production dans sa globalité, force est à constater que Suicide Boy marque avant pour son histoire profonde traitant de dépression. De par ses thématiques et la manière de les aborder, ce contenu est avant tout destiné à un public suffisamment adulte pour les digérer convenablement. Je ne saurais trop vous la recommander, mais soyez prêt à y faire face. J’en garde un bon souvenir, principalement car c’est l’œuvre qui m’a fait entrer dans le monde du webtoon.
1 – Orange est un manga en 7 tomes de Ichigo Takano où des camarades de classe se lient pour aider leur ami en proie à des pensées suicidaires.
2 – Le moe est un terme japonais désignant une profonde affection pour un personnage fictif. Je vous invite à consulter cet article d’Animeka pour en savoir plus sur le sujet.
3 – Fétiche autour de jeunes hommes au physique et à l’allure féminine.
Pour aller plus loin :
– Mémoire sur le Webtoon : une histoire qui traverse nos écrans (2024)
Titre VO : 자살 소년
Auteur : Parkgee
Genre : Drame, tranche de vie
Éditeur : Lezhin Comics (International)
Nombre de volumes : 134 chapitres pour 2 parties
Première publication : 2017
Synopsis :
L’histoire d’Hooni, un étudiant dépressif tentant de mettre fin à ses jours.