Vous connaissez sans doute le jeu vidéo Omori qui fit grand bruit lors de sa sortie en 2020. Si ce n’est pas le cas, rassurez-vous, j’ai écrit un article à son sujet pour vous le présenter. Cinq années plus tard, le titre continue d’avoir une fanbase active pour le faire vivre à travers la création de fanarts, ou pour acheter et consommer tout ce qui a trait à la licence. En mars 2024, en marge du concert pour le 3e anniversaire du jeu, un manga a été annoncé. Avec aujourd’hui 2 volumes dans les librairies japonaises, et toujours en cours de publication, c’est à mon avis le bon moment pour revenir dessus.
Attention, analyser le manga d’Omori nécessite de spoiler quelques éléments du jeu. Veuillez ne pas parcourir cet article si vous souhaitez avoir une expérience totalement vierge en lançant une partie.
Tout d’abord, résumons brièvement ce qu’est Omori. Il s’agit d’un jeu vidéo développé par l’artiste Omocat, et sorti en 2020 sur PC, puis ensuite sur Switch. Présenté comme un J-RPG, le jeu nous emmène dans les méandres psychotiques d’un jeune adolescent nommé Omori. On le suit dans ses aventures, accompagné de ses amis et de sa grande sœur, à la recherche de son camarade Basil qui a disparu. Au fur et à mesure de ses pérégrinations, la vérité derrière ce monde étonnant éclate au grand jour. Si la partie gameplay est relativement classique pour un RPG de type tour par tour, le jeu impressionne pour son histoire captivante, les thématiques difficiles abordées avec justesse, et sa mise en scène intelligente.
Il a été décidé que le manga aurait comme seule ambition d’adapter l’intrigue principale du jeu. Toutefois, ce projet est difficile quand on connait le matériau d’origine. Le chantier a été confié à une artiste peu connue nommée Nui Konoito, aidée par Omocat en personne et ses éditeurs pour l’écriture. Active sur son compte Twitter depuis peu, Omori est son premier travail en tant que professionnelle. Mais les apparences sont trompeuses, car la précision de son trait présage l’inverse. En vérité, ses précédents travaux ont été mis sous le tapis pour éviter des polémiques quant à la vue des sujets traités.
La prépublication du manga se fait au sein du magazine mensuel Afternoon de Kodansha (Vinland Saga, Blue Period), mais également sur leur service web K Manga. Malheureusement pour nous francophones, ce service est bloqué sur notre territoire. On doit donc passer par la case import pour le lire, ou utiliser un VPN. Personnellement, j’achète les volumes reliés depuis le Japon.
Le choix de la mensualisation du manga conditionne dès lors ses prétentions. Avec seulement 12 chapitres par an, il ne sera pas possible d’explorer l’immensité du lore du jeu, ni même de prendre le temps d’aborder toute la profondeur des thématiques évoquées. On se doute déjà que l’objectif est de faire vivre la licence sur quelques années sans chercher à la révolutionner. Il a été annoncé que le manga puisse satisfaire les fans du jeu ainsi que les néophytes, cependant, comme nous allons le voir plus bas, seuls les lecteurs connaissant déjà l’intégralité de l’histoire sauront réellement apprécier ce titre.
Il suffit juste de parcourir les premières pages pour se rendre compte que l’expérience du jeu n’est pas correctement retranscrite dans la bande dessinée. Mais dans le cas d’Omori, était-ce seulement possible d’y arriver ? Prenons une adaptation d’un manga en anime : le découpage du manga peut servir de brouillon pour le storyboard de l’anime, ainsi le produit fini semble fidèle à son support d’origine. Dans le cadre d’un jeu vidéo, c’est beaucoup plus difficile, car en plus de l’histoire, il faut trouver des astuces pour intégrer la partie gameplay inhérente à la narration.
Pour un jeu d’action comme The Last of Us Part II, dont l’adaptation en live action a été diffusée en 2025 partout dans le monde, les séquences de jeu où on se perd dans la grande ville de Seattle peuvent aisément s’intégrer dans le récit pour peu que l’on maîtrise le rythme. En ce qui concerne un J-RPG au tour par tour, il n’est pas concevable d’intégrer ces batailles répétitives prenant, au doigt mouillé, jusqu’à 80 % du temps de jeu. De ce que je constate durant mes lectures, c’est que les adaptations font le choix de passer sous silence ces longues phases de leveling ou d’exploration de donjon pour se concentrer sur des combats plus palpitants comme les boss nécessaires à l’intrigue.
Plus précisément, la mise en scène des séquences d’action n’est plus du tout la même que dans le jeu. Le système de combat original permettait l’utilisation des émotions positives et négatives de chaque protagoniste et antagoniste (joie, tristesse et colère) pour ajuster leurs points forts et points faibles afin de gagner. Dans le manga, la magie n’est pas présente, les personnages attaquent avec leur arme, et sont effrayés quand ils reçoivent des coups. Le graphisme doux pastel du jeu laisse place à une certaine violence. C’est dommage, car la direction artistique originelle offrait un univers candide représentant des jeux d’enfants innocents. C’était une pierre importante de la narration non verbale.
Mais ce n’est pas tout, car par exemple lorsqu’Omori attaque Choupette, il montre un visage d’assassin alors qu’il devrait être détaché et impassible. Dans l’histoire, il présente aussi quelques émotions comme la surprise ou le regret. Ce n’est pas grand-chose, mais ça contredit le jeu vidéo qui présentait un Omori complètement apathique, presque spectateur de sa propre aventure. Cette nuance est importante, déjà car sa passivité est nécessaire à son état psychologique à ce niveau de l’histoire, mais également car elle met en exergue ses émotions dans le monde réel.
Nui Konoito a fait le choix de commencer non pas du point de vue d’Omori, le personnage du Headspace, mais de celui de Sunny, son alter ego dans le monde réel. Ce choix est compréhensible dans l’optique de réajuster la mise en scène pour l’adaptation en manga, mais a des impacts fondamentaux sur la manière d’apprécier l’histoire. Tout d’abord, avoir des indices sur le traumatisme d’Omori dès les premières pages est contreproductif puisqu’il s’agit du climax du jeu. Développer aussi tôt les personnages dans le monde réel n’a pas de sens étant donné qu’on ne les connaît pas encore dans le Headspace. Les retrouvailles entre Sunny et Kel dans le premier chapitre ne procurent ni surprise, ni émotion. La finalité c’est que les motivations de chacun sont confuses.
Sans possibilité de se poser pour apprécier le développement des personnages, aucune émotion ne ressort des pages en noir et blanc. On pourrait également développer sur l’absence de musique, pourtant essentielle pour l’atmosphère et le récit non verbal. Omori en manga n’est qu’une succession des scènes marquantes du jeu. Mais sans doute sommes-nous trop durs pour le juger de la sorte, car il y a une autre manière d’apprécier ce manga : en le considérant comme un simple goodies, un bonbon nous permettant de replonger dans ce drame avec un autre regard, on peut prendre plaisir à la lecture.
Certaines qualités transparaissent, comme tout d’abord l’excellence du trait de Nui Konoito qui arrive sans mal à capter et retranscrire les principales émotions véhiculées : joie, angoisse, ou terreur. Le trait léger laisse parfois place à des planches noircies d’horreur et d’anxiété, dans un découpage très réussi. J’aime beaucoup la manière dont elle se réapproprie le chara-design originel pour le rendre plus fin et expressif, Basil est très mignon avec ce trait. La lecture est très agréable et dynamique, on apprécie de découvrir la manière dont certaines séquences sont adaptées.
On pourrait rapprocher le manga Omori d’autres mangas adaptés de jeux vidéo comme Tales of Symphonia ou Zelda Ocarina of Time. Dénué du génie de la narration et de la mise en scène, permettant l’immersion du spectateur dans une expérience vidéoludique unique, le manga apparaît comme un nouveau vecteur pour prolonger le plaisir et l’émotion, pour peu que l’on ait déjà joué et apprécié le jeu originel. Un titre à mettre donc uniquement dans les mains des fans du jeu.
Auteur : Nui Konoito
Genre : Drame
Éditeur : Kodansha (Japon), pas sorti en France
Nombre de volumes : 2 (en cours, Japon)
Première publication : 2024
Ajouter un commentaire