Difficile de ne pas se sentir intrigué(e) en découvrant sur les étagères de nos librairies, un des volumes de Aime ton prochain. Son titre fait tout de suite penser à un des versets de la Bible, mais la couverture dévoile une scène de torture. Étrange ? Pas tellement, quand on découvre sur la jaquette, la collection où est édité ce titre chez nous : la fameuse collection « WTF?! » des éditions Akata, spécialisée dans les mangas sans concessions.
La superbe couverture japonaise du tome 4
L’histoire provient de l’imagination débridée de Daisuke Chida, un auteur encore inconnu chez nous, en dehors de ce manga. Né en 1989, il s’est d’abord fait connaître dans les pages du Bessatsu Shônen Magazine du mois d’août 2012, avec un one-shot nommé furageno. S’ensuit alors sa première série, Sayonara Trigger, un 4-koma prépublié dans le Magazine Special et compilé en 3 volumes.
Ensuite, deux autres séries sont publiées en parallèle à partir de 2017 : un autre 4-koma nommé mako-san wa shindemo jiritsu shinai du côté de l’hebdomadaire Shûkan Shônen Magazine et, ce qui nous intéresse ici, Ijôsha no ai dans l’application mobile Manga Box (où Love and Lies, publié chez nous via Pika, y reçoit un bel accueil).
Ces travaux finis, il change encore une fois de magazine pour se diriger vers Magazine Pocket où sa série Heroine wa zetsubô shimashita est en cours d’écriture depuis 2019.
Les couvertures mettent le doute, mais le titre n’est pas trompeur, car d’un certain point de vue, Aime ton prochain est une réelle histoire d’amour passionnée entre une jeune fille nommée Saki Mido, et le protagoniste de l’histoire, Kazumi Ichinose. Le premier volume évoque leur rencontre en primaire, les suivants narrent les péripéties de ce petit couple entre disputes et échanges sous la couette. Et sans réellement spoiler, l’épilogue assoit parfaitement l’idée qu’entre les deux tourtereaux, c’est « à la vie, à la mort ».
Vous sentez l’amour passionné ?
Enfin, à la différence près que Saki est une véritable psychopathe, dans la veine d’une Yuno de Mirai Nikki, calculatrice et capable d’absolument tout pour posséder l’élu de son cœur. Car Kazumi n’est absolument pas amoureux d’elle, à aucun moment dans l’ensemble de l’œuvre. Mais comment vivre une vie normale lorsque l’on a une folle à ses trousses, une criminelle sans aucun scrupule ? De quelle manière pourrait-il se défendre, ainsi que ses proches, quand cette dernière torture physiquement et psychologiquement les autres, et use du chantage pour se protéger ? C’est tout le sel de l’intrigue.
Aime ton prochain est le premier titre horrifique de l’auteur. Celui-ci ne fait absolument pas dans la demi-mesure, la violence des couvertures n’est qu’un simple apéritif aux horreurs décrites dans les pages. Il faut avoir le cœur bien accroché, car ne serait-ce que dans le premier volume, Daisuke Chida décrit méticuleusement une scène de viol mettant en scène des écoliers, de la torture à coups de lacération au cutter, et un meurtre en bonne et due forme. Le cadre est ainsi posé, la jeune demoiselle est capable de tout, et ni le lecteur ni Kazumi ne sont épargnés.
La première partie évoque la rencontre entre les deux protagonistes, où Kazumi est totalement pétrifié et soumis à la folie de Saki, entraînant un traumatisme pour le jeune homme. La seconde se concentre sur la manière dont Kazumi va devoir gérer la dangerosité de Saki afin de protéger lui et ses proches, en enchaînant différentes stratégies pour la mettre hors d’état de nuire. Le récit se transforme alors en thriller où les rebondissements sont nombreux. Et plus les pages avancent, plus notre haine envers Saki s’accroît.
Mais alors, pourquoi passer autant de temps et d’énergie à se sacrifier et trouver des combines réfléchies pour arrêter Saki, alors qu’il suffirait de s’imposer en force pour l’attraper, et ainsi la livrer à la police ? Les personnages savent pourtant très bien qu’elle est une meurtrière, et que ses promesses sont vaines. Le fait qu’il tarde à agir est justifié par une réelle emprise psychologique de la tortionnaire, mais parfois, pour nous lecteurs, c’est terriblement frustrant. On se plairait à s’imaginer sauter à travers une des pages pour étrangler Saki de nos propres mains (les enfants : la violence n’est pas une solution). En tout cas, la question se pose : qu’aurions-nous fait à leur place ?
Mais en tant que thriller, cette frustration est correctement diluée et maîtrisée dans ces 6 tomes, c’est tout ce qu’il faut pour nous éclater et profiter de son final explosif.
Côté dessins, le manga fonctionne grâce au décalage entre les personnages en SD mignons et le ton du récit où le sexe est omniprésent et l’hémoglobine, ruisselante. Daisuke Chida étant spécialisé dans le 4-koma, le découpage est simple et clair. L’auteur a un style bien à lui : il ne cherche jamais à éblouir son lectorat, mais plutôt à faire dans l’efficacité. Il adore Pokémon par ailleurs, et publie régulièrement sur les réseaux sociaux des fanarts autour de cet univers.
Daisuke Chida a développé cette histoire autour de la question « Qu’est-ce qui m’arriverait si j’étais désespéré ? ». À mon sens, ces mots résument parfaitement le concept de l’œuvre, infligeant des pires sévices possibles aux différents protagonistes, pour apporter un climat de mal-être au lecteur. Si vous appréciez les thrillers horrifiques, foncez !
Pour aller plus loin, voici quelques liens :
Interview de l’auteur en japonais : creators-voice.com/interview10
Son Instagram : www.instagram.com/shirasu_chida
Son Twitter : twitter.com/shirasuxstar_ba
Titre VO : 異常者の愛 ijôsha no ai
Auteur : Daisuke Chida
Genres : Romance, Torture
Éditeur : Akata (France)
Nombre de volumes : 6 (terminé)
Première publication : Avril 2017 à septembre 2018
Synopsis :
Kazumi, adolescent de 16 ans, se refuse d’aimer. Traumatisé depuis l’enfance par une de ses camarades psychotique ayant tué la fille qu’il aimait alors, le lycéen ne sait pas comment être à nouveau heureux. Mais tandis que la flèche de Cupidon semble enfin prête à atteindre à nouveau son cœur, une ombre du passé ressurgit. Dès lors, pour lui et ses proches, un enfer quotidien commence…