Hanashi

Kakushigoto – L’Équilibre secret entre drame et comédie

Alors que la pandémie du Covid-19 planait sur notre printemps 2020, un rayon de bonne humeur a traversé les miasmes de la psychose pour illuminer mon confinement. Kakushigoto est ce genre de série que l’on regarde comme l’on dégusterait une pâtisserie : à petites bouchées pour faire durer le plaisir et redécouvrir chaque fois son goût inimitable. À l’excellente surprise de la découverte de l’animé, je dois aussi ajouter le plaisir personnel de retrouver le travail de Kôji Kumeta, mangaka trop peu connu par chez nous. (J’ai d’ailleurs découvert à cette occasion que les premiers tomes du manga Kakushigoto ont été édités l’été dernier par Vega Editions. Oh, joie !)

Mais reprenons depuis le début : Kakushi Goto est l’homme le plus heureux au monde le jour de la naissance de sa fille Hime qu’il se promet de protéger envers et contre tout. Mais il réalise rapidement que c’est son métier qui risque de poser problème : Goto est un mangaka spécialisé dans l’humour graveleux, avec une certaine réputation qui plus est. L’idée même que sa fille puisse être moquée à l’école (ou pire) par sa faute le terrifie. Goto fait alors le serment de cacher son véritable travail à Hime et son entourage, afin de la protéger des commérages. Dix ans plus tard, la petite Hime a bien grandi et Goto, devenu père célibataire, se bat au quotidien pour l’élever en préservant son secret avec l’aide de ses assistants. Mais un jour viendra forcément où Hime découvrira la vérité…

La première caractéristique de Kakushigoto, c’est son équilibre délicat entre humour et sensibilité. Cette dernière repose en grande partie sur la petite Hime (archétype du personnage de mignonne petite fille) et sur la dévotion de son père prêt à tout pour la rendre heureuse. Quant à l’humour, l’auteur reste fidèle à son style de prédilection : jeux de mots, dialogues absurdes et comique de répétition, l’ensemble flirtant régulièrement avec le mauvais goût. Le ton est donné dès le titre de la série et le nom du protagoniste : « kakushigoto » signifie secret, et « kaku shigoto » travail d’écriture. On y trouve donc déjà les deux traits distinctifs de ce drôle de père, névrosé au point d’enfiler tous les matins un costume de salary-man pour ne pas éveiller les soupçons de sa fille. L’humour fonctionne d’autant mieux que Hime, la candeur incarnée, se méprend facilement et cherche avant tout à s’amuser avec ses camarades de classe. Une belle galerie de personnages secondaires complète le tableau, avec les assistants de Goto embrigadés dans sa mascarade, son éditeur incompétent ou encore la maîtresse d’école de Hime.

Mais la force de la série tient surtout en sa capacité à utiliser l’humour pour évoquer des sujets plus graves : le deuil tout d’abord, l’absence de la mère et la solitude de Hime, la peur de ne pas être à la hauteur et de décevoir pour Goto, ainsi que l’instabilité financière de son métier. Le drame n’est jamais loin, distillé notamment par des flash-forwards montrant une Hime solitaire le jour de ses 18 ans, en quête des secrets de son père. Cet équilibre entre comédie et drame, entre tendresse et tristesse apporte une tonalité mélancolique inattendue à la série, et la rend d’autant plus émouvante. C’est grâce à cette ambiance si particulière que l’histoire, terminée en 12 épisodes, prend toute sa saveur et sort du lot.

L’auteur du manga originel, Kôji Kumeta, s’est déjà fait connaître dans nos contrées grâce à la publication de Sayonara Monsieur Désespoir (Sayonara Zetsubo-sensei), une satire noire et grinçante de la société japonaise (son extravagante adaptation en animé est tristement encore inédite en France). Si vous la connaissez, vous ressentirez sûrement une certaine filiation entre les deux séries : outre leurs chara-designs et leurs caractères angoissés semblables, Zetsubo-sensei et Goto-sensei partagent également le même doubleur : l’excellent Hiroshi Kamiya*. En un sens, Goto pourrait parfaitement être un professeur désespoir apaisé, ayant trouvé un sens à sa vie à travers sa famille. 

Côté visuel, la série retranscrit parfaitement le minimalisme stylisé du manga. Ici, pas de détails inutiles ni de designs fouillés, l’important est la pureté des émotions et la clarté des situations (qui se compliquent bien assez vite). On peut notamment remarquer un mélange harmonieux des styles dans les décors, et les effets visuels (esquisse, touches de couleurs, crayonné, visuels géométriques, etc.). Et il y a la beauté épurée de certains paysages : la mer qui s’étend à perte de vue, le vaste ciel bleu ou rempli d’étoiles, le fronton de la jolie maison familiale; un éternel été, vision du bonheur paisible que cherche à créer Goto pour sa fille, mais qui trahit en même temps leur isolement et leur solitude. 

Je pourrais continuer longtemps l’énumération des qualités de la série : ses couleurs douces, ses musiques soulignant efficacement les gags ou les émotions, ses génériques concentrés de bonne humeur, le caméo de Kazuhiro Fujita (l’auteur de Ushio et Tora et Karakuri Circus), etc. Dans tous les cas, Kakushigoto est à mon goût l’une des séries les plus originales et réussies de ce printemps 2020. Et si j’ai réussi à vous convaincre de la regarder, j’espère qu’elle vous plaira tout autant.

*Hiroshi Kamiya, dont vous connaissez forcément la voix tant son CV est impressionnant. Citons notamment : Yato dans Noragami, Saiki dans Saiki Kusuo no Ψ-nan, Natsume dans Natsume Yuujinchou, Koyomi dans la série des Monogatari, Rivaille/Livaï dans L’Attaque des Titans, et bien d’autres.

Titre : Kakushigoto
Titre VO : かくしごと
Réalisation : Yûta Murano
Artiste original : Kôji Kumeta
Scénario : Takashi Aoshima
Musique : Yukari Hashimoto
Studio : Ajiado
Genres : Comédie, Tranche de vie
Distributeur : Wakanim/Crunchyroll
Durée : 12 épisodes de 24 minutes
Première diffusion : 2 avril 2020
Synopsis : Kakushi Goto est un auteur de manga dont la série, certes un peu osée, est proposée dans un magazine de prépublication hebdomadaire. Oui, mais voilà… Kakushi Goto est aussi un papa poule, et il ne veut surtout pas que sa fille chérie apprenne qu’il est « mangaka » et qu’il dessine des mangas, comment dire… un brin vulgaires. Il va donc déployer des trésors d’ingéniosité pour cacher cette vérité à sa petite princesse.

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