Hanashi

If On A Winter’s Night, Four Travelers — Ambiance de plomb, jeu en or

Il arrive par­fois qu’un jeu sur­gisse de nulle part, vous cueille au dépour­vu et vous marque pour long­temps. La der­nière fois que ça m’est arri­vé, c’é­tait un soir de mars 2021. Le res­pon­sable : un petit jeu PC indé­pen­dant et gra­tuit, nom­mé If On A Win­ter’s Night, Four Tra­ve­lers.

Avant d’al­ler plus loin, un aver­tis­se­ment s’im­pose : If On A Win­ter’s Night est un jeu dur, qui aborde sans fard des thé­ma­tiques qui le sont tout autant : deuil, sui­cide, racisme, homo­pho­bie et mala­die men­tale vous regar­de­ront dans le blanc des yeux au cours de votre par­tie. Assu­rez-vous d’être prêts à y faire face avant de vous lancer.

Der­rière ce nom à cou­cher dehors se cache un jeu nar­ra­tif se dérou­lant à la fin des années 1920. Quatre voya­geurs mas­qués se ren­contrent lors d’une récep­tion à bord d’un train, sans le moindre sou­ve­nir d’y avoir embar­qué. Pour tâcher de com­prendre leur situa­tion, ils décident de se racon­ter à tour de rôle leurs histoires.

If On A Win­ter’s Night, Four Tra­ve­lers est le pre­mier pro­jet de Dead Idle Games. Ce stu­dio, mon­té pour l’oc­ca­sion, est consti­tué de deux per­sonnes : d’un côté, Lau­ra Hunt, la déve­lop­peuse, scé­na­riste et char­gée de la par­tie sonore, réa­lise ici son troi­sième jeu après deux petits pro­jets en solo. De l’autre, Tho­mas Möh­ring, concept artist pour le ciné­ma, signe visi­ble­ment son pre­mier tra­vail de gra­phiste pour un jeu vidéo. Le titre est sor­ti en toute dis­cré­tion sur itch.io, un site spé­cia­li­sé dans la dis­tri­bu­tion de pro­duc­tions indé­pen­dantes et/ou expé­ri­men­tales, jus­qu’à ce qu’un bouche-à-oreille flat­teur dans le milieu du jeu indé­pen­dant lui ouvre les portes de Steam en fin d’an­née 2021.

Le jeu se pré­sente sour la forme d’un point & click à l’ancienne : se dépla­cer, exa­mi­ner, ramas­ser, uti­li­ser et dia­lo­guer sont autant d’ac­tions à votre dis­po­si­tion pour pro­gres­ser dans l’his­toire. Une recette éprou­vée depuis des décen­nies et qui rem­plit sobre­ment son rôle : faire pro­gres­ser le joueur à tra­vers les his­toires que le jeu veut racon­ter. Ces his­toires sont dures et pesantes, cha­cune à leur manière sym­bo­liques de la sombre époque qui leur sert de toile de fond.

Pour conso­li­der son expé­rience nar­ra­tive, If On A Win­ter’s Night peut comp­ter sur sa direc­tion artis­tique. Sur le plan visuel, l’es­thé­tique pixel­li­sée, hom­mage aux jeux d’a­ven­ture d’au­tre­fois, divi­se­ra sans doute. Cepen­dant, la minu­tie des jeux de cou­leurs et de lumière et sur­tout l’é­pa­tante expres­si­vi­té des ani­ma­tions des per­son­nages contri­buent à mes yeux à un ren­du d’une belle finesse, qui fait hon­neur au terme de “pixel art”. D’un point de vue sonore, le tra­vail de Lau­ra Hunt m’a épa­té : la musique sait aus­si bien se mettre en valeur que s’ef­fa­cer lors­qu’il le faut, pour lais­ser l’es­pace tout entier aux effets sonores. Le jeu par­vient ain­si tour à tour à détendre, inquié­ter, oppres­ser et même par­fois écra­ser le joueur. Ajou­tez à tout cela un sens aigu de la mise en scène, et vous obte­nez un ensemble qui se met au ser­vice de la nar­ra­tion avec une jus­tesse que je n’au­rais pas soup­çon­née de la part d’un pro­jet si modeste. On se laisse gui­der de pièce en pièce, de scène en scène, d’his­toire en his­toire, bien que le cap ne fasse guère de doute : plus bas, tou­jours plus bas, vers les tré­fonds de l’âme humaine.

L’aventure est brève : deux à trois heures de jeu suf­fisent à en voir le bout. Pour­tant, c’est aus­si l’un des voyages les plus intenses et char­gés en émo­tions que j’ai vécus ces der­nières années. J’ai été atti­ré par la direc­tion artis­tique, puis je me suis lais­sé hap­per par les des­tins des per­son­nages, pour fina­le­ment me sur­prendre à dévo­rer le jeu d’une traite. J’en suis sor­ti les­si­vé, la gorge nouée, au bord des larmes, mais avec la ferme convic­tion d’avoir vécu quelque chose de très spé­cial. Sans l’ombre d’un doute, If On A Winter’s Night a été mon jeu du cœur pour l’année 2021.

Seule ombre au tableau : le jeu est inté­gra­le­ment en anglais, et le stu­dio a confir­mé qu’au­cune tra­duc­tion n’é­tait pré­vue à cause d’obs­tacles tech­niques. Il fau­dra donc mal­heu­reu­se­ment faire une croix sur une ver­sion fran­çaise. Si l’anglais vous rebute, pas­sez votre che­min, car le texte est essen­tiel à l’expérience.

Pour une pre­mière réa­li­sa­tion, Dead Idle Games a frap­pé fort avec If On A Win­ter’s Night, Four Tra­ve­lers. Si Lau­ra Hunt et Tho­mas Möh­ring étaient encore jus­qu’i­ci de rela­tifs incon­nus dans le milieu, après un tel pro­jet, ils ont toute mon atten­tion. Et si vous aimez vous lais­ser por­ter par des his­toires puis­santes et sombres, et si les gros pixels ne vous rebutent pas, alors je crois qu’ils méritent aus­si la vôtre. Vous ne le regret­te­rez pas.

If On A Win­ter’s Night, Four Tra­ve­lers est dis­po­nible gra­tui­te­ment pour Win­dows, Mac et Linux sur la pla­te­forme itch.io, et uni­que­ment pour Win­dows sur Steam. Un “sup­por­ter pack”, conte­nant un art­book numé­rique et la bande-son du jeu, peut être ache­té sur les deux pla­te­formes pour quelques dol­lars si vous sou­hai­tez sou­te­nir finan­ciè­re­ment le studio.

Titre : If On A Win­ter’s Night, Four Travelers
Déve­lop­pe­ment : Dead Idle Games
Édi­tion : Dead Idle Games
Genres : Aven­ture, Point & click
Loca­li­sa­tion : Textes en anglais
Pla­te­formes : Win­dows (Steam), Windows/Mac/Linux (itch.io)
Date de sor­tie : 10 mars 2021

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